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JEP 2017 – UN SOUFFLE DE MODERNITÉ DANS LES INSTITUTIONS

20 septembre 2017

Ce week-end se tenait en France comme partout en Europe les JEP : Journées Européennes du Patrimoine. Et comme chaque année on en a profité pour s’introduire dans des lieux en temps normal fermés au public et écouter les guides et usagers nous compter leurs histoires. Pour pas faire de jaloux on a visité un bâtiment XXème bien sûr : le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux TGI, mais également un ensemble issu de la fin du XIXème au programme assez singulier : le Centre Hospitalier Charles Perrens CHCP. Si vous n’avez pas pu profiter de ces journées, The H Project est là pour vous partager ses visites. Plongé dans deux institutions de l’État qui chacune à son époque aspiraient à un souffle de modernité.

En arrière plan la cuisine du CHCP, avec en premier plan l’emplacement de l’ancien bassin

 

CHCP

Le CHCP a tendance à souffrir de son image stéréotypé d’asile d’aliénés. Pourtant en son sein œuvre un pôle culturel très dynamique et bienveillant qui cherche à inviter la culture au sein de son établissement pour le faire vivre et briser ce mur invisible qui s’est construit inconsciemment avec la ville et ses habitants. Car le centre, comme toute structure publique, est ouvert à tous. Et l’architecture qui y demeure vaut la peine de gravir la petite colline.

C’est en 1885 que l’État charge l’architecte Jean-Jacques Valleton (1841-1916) de construire à Bordeaux une structure asilaire moderne en accord avec les théories aliénistes de l’époque. Les asiles pour femmes et pour hommes situés respectivement à Saint-Jean et à Cadillac, ne font guère honneur à la république nouvellement en place et aux besoins des patients. Une structure unique, destinée à toutes les classes sociales, proposant des soins à l’eau et pratiquant les électrochocs doit être pensée.

Vue du bâtiment de l’administration depuis la cours intérieure

Jean-Jacques Valleton, Bergeracois, à l’époque architecte départemental, a fait ses armes auprès de Paul Abadie avant d’arriver en 1863 à Bordeaux. Un apprentissage qui se traduit de par son architecture classique en pierre, sobre et symétrique. Pour s’acquérir de sa tache il est gracieusement payé pour aller étudier les architectures asilaires anglaises et parisiennes dont il s’inspirera en partie. A son retour il choisit comme implantation les anciennes terres viticoles du Château Picon qui s’étendent sur pas moins de 24 hectares. Elles sont dans un sens loin de la ville entre Bordeaux et Pessac au cœur des vignobles, mais assez proche pour être reliées au centre par l’omnibus à cheval de l’époque qui passait devant le Château. Le Château justement est un atout selon Valleton, bâti idéal pour accueillir les patients fortunés. A l’époque toutes les classes sociales recevaient les mêmes soins au sein d’une même structure mais elles n’étaient cependant pas logées à la même enseigne. Ce traitement de luxe accordé aux riches contribué à financer le fonctionnement de l’hôpital et les soins des autres aliénés. Sa situation à proximité du ruisseau du Peugue sera elle aussi déterminante pour alimenter le pavillon des bains destiné aux traitements des malades.

L’ancien Château Picon quelque peu transformé pour accueillir les malades fortunés

La construction débutée en 1887 sera relativement rapide. D’une durée de 3 ans, elle accueillera les premiers patients dès 1890. L’architecture de l’ensemble est rationnelle et fonctionnelle, la structure générale propre à la patte de Valleton est symétrique et pyramidale, les bâtiments étant plus haut au centre qu’aux extrêmes. Elle est organisée en peigne, les unités étant desservies par une grande galerie et centralisées autour d’un bâtiment charnière : la cuisine. La chapelle, témoignant de l’action indispensable des Soeurs dans les asiles de ce temps, se détache de la structure au nord et fait fasse au pavillon des bains. Tout autour, des pavillons sont dispersés pour loger une partie du personnel et les malades très aisés. Le tout est ouvert sur des cours végétalisées, un bassin, des serres et potagers et un parc au pied du Château qui offrent un cadre bucolique aux patients tourmentés.

Vue aérienne et description détaillée des usages des différents bâtiments

En 1974, pour en changer l’image et pour marquer l’approche désormais médicale des pathologies, l’établissement a été rebaptisé hôpital Charles-Perrens en référence à un médecin qui y a exercé. Aujourd’hui de nombreux changements notamment internes au bâti ont été opéré, s’adaptant aux nouveaux soins et à l’accueil des malades. C’est certainement l’aménagement paysager qui fut le plus transformé avec la construction de routes goudronnées et de parking au sein du centre, la fermeture et sécurisation des cours entre les unités, l’asséchement du bassin central remplacé par des palmiers ou encore la destruction des serres et jardins potagers au profit d’une extension contemporaine bâtie.

A gauche : intérieur de la chapelle bâti sur le plan d’une croix grecque / au milieu : détail d’un chapiteau décoré de pomme de pin, clin d’œil local / A gauche : détail de la façade principale

Si avec le temps de nouveaux bâtiments sont venus se greffer répondant à de nouveaux besoins, l’unité architecturale du centre demeure pourtant quasi intact. Mais pour combien de temps ? la cuisine, ancien point névralgique du projet de nos jours laissée en désuétude, attend toujours des financements pour accueillir le centre culturel tant espéré du personnel soignant et du pôle culturel. Quand aux deux pavillons de luxe situés à l’Ouest ils seront détruits avant la fin de l’année. Vous savez ce qui vous reste à faire : filez y jeter un coup d’œil !

Photo de gauche : l’extension contemporaine à gauche qui remplace les serres, et les pavillons qui vont être prochainement détruits à droite / Photo de droite : curieux mélange des genres

 

TGI

Non pas que l’étude du TGI nous est échappé durant nos études, mais c’est bien cette fois-ci l’immersion dans une partie habituellement interdite au public qui nous a attiré. Écouter le président du TGI nous exposer sa vision et son vécu du TGI au quotidien, ça n’a pas de prix.

Dans les années 1980-90 l’état lance des appels à projets publics afin de renouveler ses bâtiments judiciaires anciens et d’apporter un souffle de modernité à l’institution tout en améliorant son image. C’est dans ce contexte que le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux verra le jour, ouvrant ces portes en 1998 après quelques années de déboire au niveau des concours.
Le projet s’inscrit dans un site stratégique chargé d’histoire comprenant : le fort du Hâ (1453) classé Monument Historique en 1968, l’ancien palais de justice aujourd’hui cours d’appel également classé (1846), l’École Nationale de la Magistrature ENM (1972) et non loin de là la cathédrale Saint-André inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO au travers des chemins de Compostelle. Un défi délicat s’impose donc aux architectes : tisser avec l’histoire tout en clamant une envie de renouveau moderne.

A gauche : vue depuis le 5ème étage sur l’atrium et ses tirants et les “œufs” / à droite : vue sur l’atrium et l’œuvre de Pascal Convert représentant les 1% d’art dans chaque nouvelle construction publique

C’est à travers le symbolisme de la transparence de la justice que l’architecte britannique Richard Rogers trouvera un concept fort pour dérouler le fil de son projet. Reconnu pour ces constructions high-tech aux allures de machines, il se servira du verre pour traduire cette transparence, de structures métalliques pour amener de la légèreté et du bois pour adoucir l’ensemble et faire un clin d’œil aux cuves viticoles de la région. Mais c’est du point de vue du traitement urbain que l’architecte se démarque en prenant le parti de concentrer les volumes du TGI afin de dégager un grand parvis au pied du fort du Hâ. Celui-ci est ainsi mis en valeur tout en magnifiant le portail d’entrée et en offrant de l’espace public supplémentaire aux riverains.

Structurellement, le plan se décompose en 2 parties correspondant aux deux fonctions du palais : les bureaux et les chambres de conseils d’un coté et les salles d’audiences de l’autre. Les deux entités sont séparées au centre par un atrium ample diffusant la lumière et ventilant le bâtiment. Le temps démontrera que le système d’insufflation ne fonctionne cependant pas correctement. Afin de mettre en avant l’activité qui fourmille dans un tribunal, l’architecte place les bureaux à la vue des passants sur le cours d’Albert dans un rigueur architectural des plus conventionnelle au regard du contexte architectural historique. Le soubassement en pierre, volonté imposé de l’ABF, n’était d’ailleurs pas prévu à l’origine. Une transparence qui met mal à l’aise les magistrats, confrontés et exposés aux regards de certains prévenus dangereux qui viennent comparaitre en salle d’audience. Au dernier niveau de ce parallélépipède s’ouvre 1 grande salle de réunion au panorama exceptionnel balayant la ville ancienne à droite jusqu’au constructions modernes de Mériadeck et du CHU à gauche.

A gauche : ouverture zénithale dans une des salles d’audience / à droite : percée et perspective sur le fort du Hâ et en fond la cathédrale Saint-André

Les salles d’audience à contrario, confinées dans un volume évoquant une bouteille de vin ou une tour (à vous de juger), s’élèvent chacune sur leur piédestal en béton. L’intérieur est comme l’extérieur traité en bois. Un bois cependant plus doux, clair qui illumine de sérénité l’espace bercé zénithalement par une lumière quasi divine. L’acoustique y est excellente, et les proportions justes donnent un sentiment de proximité entre le magistrat et son auditoire. 19 ans plus tard, tout le monde continue de se féliciter de la qualité de ces espaces. Enfin les salles sont accessibles par une passerelle qui vient frôler le mur de verre faisant face au parvis. Delà une vue splendide se dégage sur la cathédrale et le fort du Hâ. En faisant un petit effort (ou d’imagination) on aperçoit même l’hôtel de ville au loin. Une preuve que le TGI et la justice gardent toujours un œil sur les pouvoirs de la cité.

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