Laboratoire d'Idées

JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE : ZOOM SUR L’HÉRITAGE INDUSTRIEL DE BORDEAUX

18 octobre 2015

Héritage moderniste Maison Zig-Zag – Cité Frugès – Pessac

Vous avez peut-être eu la chance, les 19 et 20 septembre derniers, de profiter de ce bel héritage que sont les journées du patrimoine. Et si ce n’est pas le cas, The H Project vous offre une session de rattrapage en vous faisant partager ses visites centrées (vous vous en doutez) sur le XXème siècle.

En résidence sur Bordeaux actuellement, nous mettons plein phare sur 2 réalisations issues de l’héritage industriel XXème : La Bourse du Travail de Bordeaux et la Cité Jardin Frugès de Pessac. The H Project s’intéressant lors de sa première étape à ce sujet, on n’a pas pu s’empêcher de commencer à mettre les pieds dans le plat.

2 échelles,
2 styles architecturaux : l’un art déco, l’autre moderne ;
2 programmes différents : l’un étant un lieu d’échange et de connaissance du marché du travail, l’autre des logements ouvriers ;
2 maîtres d’ouvrage opposés : l’Etat pour l’un, et un mécène patronal privé pour l’autre ; et cependant une même préoccupation actuelle : celle de la conservation et de la restauration de ses ouvrages qualifiés d’art car tous deux inscrits Monuments Historiques.
Pour la petite histoire, la Bourse du Travail est classée en 1998, ce qui lui permet d’activer son processus de restauration dans les années 2000 et de la sauver des eaux. Après avoir évité le naufrage, des travaux de façade viendront finir de redorer l’extérieur du bâtiment dans les années 2010.

Plan_Bourse Plan du 1er étage de la Bourse du travail de Bordeaux – Années 30

Quant à la Cité Frugès, ce n’est qu’à partir de 1998, suite à son placement en ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager), qu’elle fera l’objet d’une réflexion sur la protection et la restitution du plan d’urbanisme et de paysage d’origine, ainsi que sur sa plastique moderne.

Plan masse de la Cité Frugès Vue aérienne de la Cité Frugès – Pessac

S’il est question ici de « préoccupation », c’est notamment du fait qu’un questionnement de restauration à l’identique de ces ouvrages se pose. À l’origine, tous deux répondent aux besoins d’un même acteur : la classe ouvrière.
En pleine conquête sociale et politique au début du XXème siècle, elle s’affirme à la fois comme une force de travail à organiser, et comme une classe sociale à loger. Elle rencontrera à l’époque les idées modernes et engagées de mécène tel Henry Frugès, d’idéaliste comme Le Corbusier, et de parti politique socialiste tel la mairie de Bordeaux.
C’est dans ce contexte que se sont bâties la Cité Frugès et la Bourse du Travail. L’une en favorisant l’accès à la propriété aux classes « laborieuses » et en leur offrant confort et modernité, l’autre en mettant à leur disposition un lieu de rencontre et d’accueil de l’action syndicale et d’entraide des travailleurs.
Le fait est que mises à l’épreuve du temps, ces deux structures ont fini par dévoiler les limites de leurs fonctions premières et questionnent aujourd’hui leur légitimité :

– La majorité des corps de métier rassemblés par la Bourse du Travail à sa création on presque disparu, n’ayant aujourd’hui que pour seule mémoire leur dénomination sur les grilles du porche d’entrée. De nos jours, la CGT reste l’unique utilisateur de ce lieu et comme nous avons pu l’attester lors de la visite, l’espace intérieur reste désespérément vide et inanimé. Les inscriptions au mur réveillent les fantômes du passé, et la froideur des couloirs sans fin ne reflète en rien l’image d’un haut lieu du syndicalisme.
Autant de pièces que de possibilités s’offrent pourtant ici à une ville qui se plaint régulièrement de manquer de locaux et de salles. Mais l’impulsion déclenchée par la rénovation va-t-elle dans ce sens?

Bourse du travail couloir et escalierPhotos des couloirs et de l’escalier du 1er étage

À ce jour, la revalorisation de l’intérieur n’a pas encore de budget. Les financiers/investisseurs ont préféré privilégier l’enveloppe, la « façade » dans le but, certes honorable, de faire redécouvrir l’architecture et le style art déco à des fins éducatives, ainsi qu’à regagner une conservation digne de ce palais pour le peuple. Reste aujourd’hui à savoir si la seconde vie qu’il lui est annoncée contribuera à la construction du présent ou le condamnera à être un manifeste à la gloire du travail.

Bourse du travail toit terrasse et materialitéPhotos du toit terrasse et de la matérialité

– Si durant le siècle qu’à traversé la Cité Frugès nos modes de vie ont significativement changé, il est intéressant de voir comment le logement, lui, est passé d’un habitat moderne et précurseur à un « standard » servant de modèle au logement actuel.
C’est par un beau soleil d’été indien que The H Project a découvert la polychromie de cette cité verdoyante parsemée de maisons anguleuses. Pas de doute sur l’auteur et sa signature, sur ses valeurs universelles et sa volonté d’élever le niveau de vie des plus dépourvus. L’idée économique d’un module standard, le chauffage central, ou encore l’aménagement d’un garage et l’accès à un toit terrasse, autant de nouveautés avant-gardistes à reconnaitre et féliciter.

Cependant ce qui interpelle le plus ici, ce sont les changements opérés sur le logement par leurs propres habitants : ajout de fenêtres et de volets, cloisonnement de l’espace et des jardins, transformation du garage en pièce, suppression de la fenêtre en bandeau, ravalement de façade, extensions…etc. Chaque maison standardisée est aujourd’hui unique et personnalisée selon de nouveaux besoins.

Evolution_maison_quinconceDessins des façades d’origine mis en parallèle des façades actuelles

En ce sens, on s’autorise à penser qu’ici le vrai héritage n’est pas le logement en lui même mais bien son génie à s’adapter à l’évolution de l’espace guidé par l’appropriation des habitants. Défi que cherche aujourd’hui à relever de nombreux architectes et qui à la Cité Frugès a très bien fonctionné. La question est alors de savoir si rénover ces maisons à l’identique de leur construction reflète vraiment le génie de Le Corbusier et l’âme sociale de leurs habitants durant un siècle. D’autant plus qu’à l’époque, la commande répondait à un besoin pressant et comme le reflète le choix et la longévité des matériaux (mâchefer, bois), elle n’avait pas pour dessein de durer. Patrimonialiser une architecture « éphémère » et évolutive se révèle ici paradoxal.

Evolution_maison_gratte-cielDessins des façades d’origine mis en parallèle des façades actuelles

Comme on n’est jamais aussi bien convaincu(e) que par soi-même, on vous invite à découvrir ces deux lieux d’héritage du XXème siècle et à vous faire votre propre avis sur les questions soulevés ici. Levez les yeux, déambulez, explorez… quelle belle idée que les journées du patrimoine.

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