Los Angeles

CULVER CITY PART II : RECONVERSION INDUSTRIELLE

11 juin 2016

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En terme d’industrie donc, Culver City n’est pas seulement le foyer de celle du cinéma. De nombreuses autres activités manufacturières y ont pris place au cours du 20ème siècle et conservent aujourd’hui les traces de leur notoriété passée grâce à la reconversion de leurs bâtiments. Parmi elles, Helms Bakeries et Hayden Tract détiennent les projets de réhabilitation industrielle les plus remarquables.

Construite entre 1930 et 1931, Helms Bakeries (Les Boulangeries Helms) est la seconde usine à s’implanter à Culver City après Western Stove en 1922. À l’époque, Paul Helms quitte New York pour s’installer à Los Angeles et profiter du climat californien. La boulangerie qu’il ouvre entre les boulevards de Washington et Venice vend son pain de façon ambulante et démarre son activité avec 32 employés et 11 voitures de livraison. Ces dernières sillonnent la ville transportant les miches et biscuits “Daily at your door” (“Tous les jours à votre porte”) aussi loin que dans la Vallée de San Gabriel (à 22 miles/35 km de Culver City). N’oublions pas qu’à l’époque le réseau de freeways n’existait pas !

1932 va permettre à l’industrie d’acquérir sa réputation notable grâce à l’organisation des Jeux Olympiques d’été de Los Angeles. Helms Bakeries devient alors le fournisseur attitré des équipes de sportifs. Le logo des Jeux sera placardé aussi bien sur la façade de l’usine que sur les voitures de livraison ou le papier d’emballage des pains tandis que la boulangerie restera en relation avec l’évènement même des années plus tard (elle nourrira l’équipe olympique allemande en 1936 à Berlin puis les équipes américaines à Londres et Helsinki). Outre les athlètes, sa renommée atteindra jusque les présidents et les astronautes, le pain Helms étant “le premier à aller sur la lune” lors de la Mission Apollo 11 en 1969.

Malheureusement – bien que ce système de vente fut très populaire et fructueux – Helms Bakeries voit sa méthode de vente ambulante être petit à petit condamnée à l’échec. L’évolution des modes de vie a bientôt raison de la compagnie : face à la rude concurrence des supermarchés en grand essor et à cause du coût de déplacement de toutes ces voitures de livraison, la boulangerie cesse son activité en 1969.

 

La famille Marks qui achète l’usine en 1972 se charge de restaurer son patrimoine bâti ainsi que sa célèbre enseigne en néons. Construit dans un style Zigzag Moderne*, l’établissement est restauré comme il l’était au temps de son apogée et adapté à une toute nouvelle activité.

Explorant les 4 hectares et demi, nous découvrons une excellente transposition des anciens locaux vers un commerce contemporain de meubles, électroménagers design, décoration pour la maison et en restaurants. L’avenue Helms est désormais fermée à la circulation, ce qui a permis de créer une place bordée d’arbres à proximité des cafés. Les vastes volumes ont été redécoupés pour correspondre à ce type d’occupation et la structure au-dessus de nos têtes est mise en valeur, nous menant à lever nos yeux d’architectes vers les fermes arrondies en bois, les ouvertures zénithales, les sheds et la cheminée. Cette dernière, anciennement destinée à déverser la farine, occupe l’un des commerces et a été conservée telle quelle. Finalement, l’espace flexible de l’industrie permet d’abriter n’importe quelle fonction. Le bâtiment n’est autre qu’un hangar d’usine fonctionnel sur lequel est collée une façade Art Déco ornementée.

 

Le 20 septembre 1997, la ville de Culver City couronne Helms Bakeries en tant que historical landmark (monument historique). L’héritage industriel se couple donc ici au patrimoine historique et architectural de la ville, aussi bien qu’à un patrimoine culturel et permet de préserver un bâtiment tout en lui donnant une seconde vie.

Il va sans dire que la boulangerie Helms est un monument à part entière pour la ville et pour quiconque ayant vécu son enfance à Los Angeles dans les années 1940-50 et ayant donc pu croiser quotidiennement l’une des 300 voitures de l’entreprise.

Sa puissance se reflète dans son enveloppe bâtie – dessinée par E. L. Bruner – d’autant que cette dernière ait plus en commun avec un hôtel de ville qu’une usine. La forme du bâtiment est détachée de sa fonction et ce, dans l’unique but de lui attribuer l’influence qu’elle gagnera petit à petit. Dans le logo, là encore, aucun indice ne laisse imaginer une boulangerie sinon le nom lui-même de la société. En 2016 la confusion reste toujours présente et avant nos recherches, il était difficile pour nous de décerner ce qui était de l’ordre de l’industrie, de la boulangerie, du commerce et des Jeux Olympiques. Le symbole ici est donc dans la façade restaurée et dans le logo qui y reste placardé peu importe l’activité qui se développe à l’intérieur : ce sont ces derniers qui rendent le lieu reconnaissable.

 

Autant la boulangerie représente un haut lieu de l’histoire de Culver City auprès de ses habitants, autant Hayden Tract est quant à lui inconnu du grand public et ne fait office que de pèlerinage architectural pour les passionnés de passage.

La construction du complexe industriel d’Hayden Tract, bien qu’elle intervienne après la mort de Harry Culver poursuit à l’époque l’orientation novatrice que ce dernier voulait donner à sa ville. L’ensemble de l’activité manufacturière basée à Culver City pouvait en effet générer une économie viable et créer de l’emploi local. Après le gel des industries pendant la Grande Dépression des années 30 et la Seconde Guerre Mondiale, 1946 rend de nouveau possible les nouvelles constructions. Sam Hayden – un fabricant de verre arrivant de l’est américain – dessine les plans de son complexe la même année. Des stylos, rideaux, vêtements comme du plastique, de la tôle ou encore les jouets Mattel sont produits dans les bâtiments modernes en béton armé. Relié au réseau ferré Pacific Electric Railway, le fret est facilité par l’introduction des rails directement sur le site de Hayden Tract. En 1949, l’ensemble usinier occupe plus de 24 hectares de terrains partagés entre de nombreuses entreprises. Sa décroissance intervient dès lors que les trains interrompent leur arrêts à Culver City : les entreprises quittent Hayden à 98% et les nouveaux occupants des lieux sont des prostituées, des drug dealers et des gangs.

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C’est The Culver City Redevelopment Agency qui s’intéresse à l’ancien complexe industriel – alors abandonné et détérioré – du fait de sa proximité avec Downtown Culver City, en plein projet de revitalisation. Frederick et Laurie Samitaur Smith commencent en 1986 à acquérir les entrepôts vides et prennent la décision de redévelopper les bâtiments délaissés en confiant à l’architecte Eric Owen Moss le soin d’en dessiner les nouveaux plans. Leur vision de ce projet étant d’y introduire culture et art afin d’apporter une toute autre dynamique au quartier.

Dans un style proche de celui de Frank Gehry, le déconstructivisme d’Eric Owen Moss est appliqué à chacun des bâtiments, sortes d’expérimentations radicales uniques dans un ensemble cohérent. Les édifices possèdent des identités propres, mais toujours en relation avec la trace de l’ancienne usine à partir de laquelle ils ont été dessinés. Et sur les convictions des maîtres d’ouvrages, les locataires sont désormais des sociétés créatives dans les médias numériques, le design graphique ou la publicité.

 

En arpentant l’ensemble de bureaux, nous nous retrouvons projetées dans un univers particulier : basés sur des fondations historiques, les bâtiments allient finement l’ancien – en mettant en valeur la structure et les première limites – avec le nouveau. Les fermes arrondies dépassent à l’extérieur d’un bâtiment tandis que des blocs de béton viennent découper des pans de briques et des fenêtres. Les vestiges des rails restent présent sur le site, serpentant entre les bâtiments désormais contemporains.

 

Comme toute reconversion et restauration d’espace industriel, une atmosphère hype se dégage des bureaux et des trottoirs où l’on peut apercevoir un échantillon de la très petite population de fumeurs de Los Angeles faisant sa pose clope. (Étonnamment – ou pas – nous essuyons ici nos premiers échecs en terme d’accueil américain. À peine franchie la porte d’une des boîtes que nous sommes sèchement sommées de quitter les lieux.) Le renouveau du quartier s’est mué avec le temps en un secteur où bouillonne toute l’énergie des nouvelles compagnies créatives et innovantes de Los Angeles, comme le souhaitaient les maîtres d’ouvrages.

Structurellement parlant, nous notons le même emploi d’un certain type de fermes arquées en bois à la fois dans les plafonds de Helms Bakeries et Hayden Tract. Et plus nous visitons des espaces anciennement industriels, majoritairement de grande taille, plus nous sommes confrontées à l’utilisation de ce même élément structurel. Un article entier sera donc consacré prochainement à la ferme bow-string.

Finalement, ce qui manque peut-être à Hayden Tract, ce serait l’introduction de véritables lieux communs à ces bureaux trop figés dans un environnement uniquement professionnel. Des commerces ainsi que des espaces publics seraient les bienvenus pour que l’endroit s’ouvre davantage au public et cesse d’apparaître comme une enclave hip des nouveaux jobs californiens.

* Le mouvement Art Déco en Architecture commence dans les années 1910 et devient un style majeur au cours des décennies 1920 et 30. Possédant deux facettes – le Streamline Art Moderne et le Zigzag Moderne – l’Art Déco se caractérise de façon générale par un dessin moderne du bâti, avec des lignes droites, des angles réguliers et une approche éloignée de tout travail stylistique traditionnel.
L’aspect Zigzag Moderne du mouvement fait apparaître sur les façades des ornementations géométriques et est principalement employé dans les grosses villes – New York, Miami, Los Angeles aux USA. Il s’applique davantage aux bâtiments publics et commerciaux qu’aux logements, employant des matériaux coûteux tels que des bois exotiques, du marbre, différents métaux… À l’opposé, le Streamline – apparu plus tard dans le mouvement Art Déco – reste dénudé de toute décoration. Issu de la Grande Dépression américaine, il représente le dénuement que cette période impliquait et se concentre sur des formes linéaires, des angles arrondis, l’ensemble s’inspirant de l’image des moyens de transport modernes et de plus en plus rapides tels que l’avion, le train, le bateau, la voiture…

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